vendredi 6 janvier 2012

le grand débarras par Zec


Minuit :
Et la cloche de la place des humains se mit à sonner, sonner et sonner encore. Elle ne s'arrêtait pas.
Elle ne s'arrêterait pas dans leur tête non plus. Ils se regardaient leurs visages baignés de larmes, ils riaient autant qu'ils pleuraient tant ils étaient heureux à nouveau de se trouver là, ensemble, jsute des humains de la même planète.
Allez !! Glissez-vous derrière les platanes ! Prenez donc une chaise à la terrasse du café ! Non ? Vous n'osez pas ? Asseyez vous donc devant le fournil d'Aristide ! Toujours pas ? Ah, je sais, j'ai trouvé la place idéale pour observer : la méridienne, devant l'atelier de Jeanne !! Installez-vous, fermez, les manteaux, serrez-vous les un-e-s contre les autres, ouvrez grand les mirettes, je vous raconte :
                                                          

Chaque année, les habitants de la rue Broquet chassent les démons et des fantômes en se retrouvant. C'est un rituel, c'est une fois par an et si certain-e-s ont déjà essayé d'y échapper, rares y sont parvenu-e-s. Les humains ont leurs coutumes ; les habitants de la rue Broquet ont beau être exceptionnels, ils n'échappent pas aux règles du groupe social, ils ont donc aussi leur rite. Et ce jour là c'est le jour du grand débarras.


C'est le matin, le givre a recouvert la place, et pourtant, le rituel aura lieu. Chaque 1er janvier, les habitants ouvrent grand leurs portes et c'est le déballage qui commence. Regardez  au loin, au bout de la rue, vous voyez ? C’est Eugène qui commence. Il est sorti le premier, il y tient Eugne à être le premier. Il a monté la grille du café. Elle fait un bruit à réveiller la planète, cette grille. Eugène doit y passer de l’huile sur les rouages depuis un an mais a toujours autre chose  à faire. D’un autre côté cela arrange bien ses voisins. Avec ce bruit, plus de démons et on sait quand l’établissement est ouvert. Eugène a revêtu pour l’occasion un grand tablier blanc, celui que Jeanne lui a confectionné l’année dernière. C’est un assemblage de tissus issus des paniers de la couturière. De tous ses paniers. Le mérite de ce tablier, c’est qu’on voit Eugène de loin. Il ne peut passer inaperçu dans la rue. C’est coloré, fantasque, bariolé, comme Eugène !!
Ce matin, Eugène a passé le tablier plein de poches sur une veste chaude. Il se tient devant son café, bien campé, en attendant que le reste de la rue se réveille.
Il sourit, la chasse aux démons et aux fantômes va commencer. Les petits  dormiront mieux ce soir et les grands n’auront plus d’angoisses.
Eugène reste ainsi un moment à contempler la rue vide et à penser à ses ami-e-s disparus cette année, à qui on pensera ce soir. Mais avant ce soir, il a du boulot. Il tape d’un pied sur l’autre sur le sol pour se rechauffer, souffle sur ses poings et commence à descendre les chaises des tables pour installer la terrasse. Plus tard, il ira installer tables et chaises avec les autres tout autour de la place.
Sa terrasse installée il rentre dans le café et va y chercher un  drapeau rouge qu’il accroche à sa fénêtre.
Le signal est donné.
Et comme par enchantement, la rue s’anime et prend vie. Là des volets qui s’ouvrent, ailleurs des rires qui fusent, plus loin des drapeaux qui ornent d’autres fenêtres. Chaque habitant sort de sa demeure bien emmitouflé, et apporte sur la place chaises et tables. Chacun vient s’installer pour cette longue journée. Les portes et les fenêtres resteront ouvertes tout au long du jour. Durant tout une année, chacun a mis de côté se dont il ne voulait plus. Chaque habitant-e aujourd’hui va se débarrasser de ce qui l’encombre.
Les tables sont joliment installées sur la place dans un bazar organisé. Un allée centrale est laissée libre, tout comme les abords de la place pour facilite la circulation des hommes, bêtes, objets et esprits malicieux. Les gens affluent, s’embrassent, s’étreignent. Eugène s’agite, va de table en table proposer des boissons chaudes pour réchauffer les corps et réveiller les cerveaux encore engourdis de sommeil. Aristide a ouvert le fournil et apporte des meringues à chacun. Le pain de la journée sera cuit dans le four commun de la rue.
On parle peu place des humains, on se regarde, beaucoup. On lit les chagrins et les joies de l’année sur les visages parfois tendus.
Les vieux s’amusent. Beaucoup. Rue Broquet, être vieux prend tout son sens. Les vieux habitent une immense maison, la plus grande de la rue.Elle est conçue pour y vieillir en paix. Les plus âgés habitent au rez de chaussée, côté jardin. Ils y ont un accès direct. Ils observent et conseillent les moufflets qui viennent cultiver le potager. Les plans inclinés leur permettent d’accéder au reste de la maison sans encombre. Coté cour du rez de chaussée c’est l’atelier. Une immense pièce accueille les minots et leurs menottes. On y peint on y bricole on y découpe, on a aussi le droit de faire rien. On y croise donc des ados, en mode horizontal, vautré-e-s dans des canapés. Quand ils sont trop fatigués pour se déplacer, c’est la rue Broquet qui leur rend visite.
Au premier étage, la maison accueille les vagabondants, ceux qui ne peuvent pas, ne savent pas ,n’ont pas envie, n’ont pas idée ….. d’avoir un toît à eux.
Au second étage, c’est l’étage intermédiaire…. On en parlera plus tard.
Et enfin un grenier, lieu de trésors et de pépites. Ce grenier est occupé aujourd’hui. Chacun trie ses affaires pour sélectionner ce dont il va se lester. On n’hésite pas à héler les passants pour leur lancer les ballots.

Vous qui regardez l’animation de la rue Broquet vous devez voir toutes ses taches de couleur s’échanger de mains en mains.
Il est bientôt midi, le grand troc va commencer, et ce soir, ce sera le grand débarras !!

Jeanne et Cassandre ont trainé  près du four des fauteuils confortables. Elles ont mis des coussins pour les dos douloureux et des reposoirs pour les pieds fatigués. Les vieux sont aux premières loges.
Jeanne et Jean se tiennent côte à côte bien serrés. Jeanne est émue de se débarrasser de tant de choses. Jean la taquine doucement lui expliquant qu’elle se sentira mieux ce soir …
Alia et Octave viennent d’arriver. Alia se contente de regarder. Elle est accueillie par la rue Broquet comme l’une des leurs.
Octave ne porte que sa besace en bandoulière, ce dont il doit se débarraser tient sur des rectangles de papier pliés en 4. Il attendra ce soir.

L’après midi se déroule en échanges. Aucune transaction financière n’est acceptée. Ici une lampe vaut un cahier, un crayon un fauteuil, une plante peut se troquer contre une garde robe.

En fin de journée chacun rentre chez soi se reposer. Il faudra du temps pour s’habituer à cette nouvelle donne. Et puis, il faut préparer la soirée.

La soirée du grand débarras permet à chacun de laisser son fardeau moral, de se nettoyer la tête et le cœur pour la nouvelle année.
Les habitants de la rue Broquet vont se réunir, on va les laisser. Je peux juste vous dire ceci. Ils vont se serrer autour du feu, pour se soutenir. Puis tour à tour, chacun va jeter ses rectangles de papier dans le feu.Sur des bouts de papier, ils ont écrit ce dont ils veulent se débarasser. Les chaines qui les empêchent d’avancer.
Il y aura des larmes, beaucoup, mais aussi des sourires, des rires. Et surtout beaucoup d’humanité.
Et à minuit la cloche sonnera la nouvelle année.



jeudi 29 décembre 2011

Une certaine idée de l'humanité par Zec

  • Octave, racontes -moi la rue Broquet s'il te plaît.

Octave lève les yeux de son bricolage et regarde Alia. La flamboyante est à demi couchée sur la conversation. Elle a étendu des jambes par dessus la séparation en forme de S et ses pieds reposent sur le chat. Depuis son apparition dans la vie d'Octave, et son installation dans la maison, elle ne quitte guère cette place. Le chat doit aimer le chèvrefeuille car il se love souvent près d'elle.

  • Octave, s'il te plaît, la rue Broquet.
  • La rue Broquet ne se raconte pas, Alia, elle se vit, elle se hume, elle s'écoute.
  • Alors emmènes -moi.
  • ….
    Alia se déplie, se lève, lisse sa robe, enfile une paire de croquenots. Elle se déplace sans bruits, on dirait qu'elle lévite. Elle disparaît et réapparaît vêtue d'une cape, ses mains dissimulées dans un manchon, une toque retenant à peine ses boucles indisciplinées. Elle se plante devant Octave. Lui est resté assis, se concentrant sur la machine à arrêter le temps qu'il construit patiemment. Le chat, lui, a choisi son camp. Il saute sur la table, les plans s'envolent. Octave tente de les rattraper. En vain. Ils s'éparpillent et retombent au sol comme les feuilles en automne. Alia sourit. Et quand elle sourit, le monde d'Octave s'illumine. Il est toujours assis. Il la regarde par dessus ses bésicles. Elle patiente en se balançant d'un pied sur l'autre. Octave se lève, fait le tour de la table. Il ramasse les croquis, et va les ranger dans le tiroir de la cuisine.
    Il passe devant Alia, va enfiler sa redingote noire, une chapeau haut de forme brun, et enfile ses gants.
  • Viens , lui souffle-t-il en lui proposant son bras.
Ils marchent du même pas, on dirait qu'ils volent tant ils sont à l'unisson. Il fait nuit. Le monde est endormi . Mais chaque pas d'Alia éclaire leur route ,( oui c'est un ange, et quand les anges marchent, volent, enfin , se déplacent, ils éclairent la route... ou pas. Disons que l'auteure de cette prose trouvait ça plutôt facile et que comme tout est complètement fictionnel, et ben, on a le droit) ; Reprenons
Il fait froid, très froid. Ils parlent peu. Enfin ils arrivent au début de la rue Broquet, qui n'est pas exactement une rue. C'est un immense rectangle composé de maisons de pierres. On sait que l'histoire, ses guerres ont depuis longtemps bouleversé la géographie en créant des frontières là où elles n'existaient pas, en déplaçant des populations qui n'avaient rien demandé, juste par la ratification d'armistices dont on se serait bien passé. La rue Broquet est comme un immense camp de résistance . Se sont installés là des tziganes, des corses, des italiens, des irlandais, des argentins.... chacun a construit sa maison avec l'aide des autres, au fur et à mesure des arrivées, des conflits, des morts et des naissances. On y trouve de grandes maisons, des bicoques, des longères, des huttes. Des maisons colorées, peintes et repeintes au fil du temps . On y trouve même des colombages, et certains soirs, les historiens polémiquent pour en décider l'origine.

Alia et Octave se sont installés sur un banc de pierre au centre du rectangle. C'est la place centrale appelée « place des humains ».
Là où se nouent et se dénouent les contrats. On y tient le marché certains matins, et certains soirs, on y refait le monde. C'est l'assemblée du peuple, on y vote le règlement intérieur une fois par an. Les autres fois, on y discute, on argumente, ça parle fort, ça se conspue , s'invective, se chicane , se querelle, en un mot : ça s'engueule !!
Elle est bordée de platanes, qui ombragent délicieusement les bordures. On vient là retrouver des ami-e-s , jouer aux cartes, aux dominos , lire, s'isoler, méditer et refaire le monde.
En son centre, on a construit le four. C'est là que chaque famille vient faire cuire son pain. Autour sont plantés des oliviers, des citronniers, des cèdres.


Octave raconte tout ceci à Alia, elle voit les enfants courir, elle entend les rires, les pleurs, les cris...
Octave raconte à voix basse et tandis qu'il raconte, Alia sent tour à tour, l'odeur du maquis, du froid sibérien, du désert africain. Ça se mélange sans se heurter, comme un brin d'humanité.

Ils se lèvent et font le tour.
Octave commente, d'un ton docte ou amusé.
On commence par le café, il est tenu par Eugène. La grille est à moitié baissée mais, en se penchant, on peut apercevoir le style art déco de la Brasserie.
Ensuite, plusieurs maisons en enfilade, des grandes familles qu'Alia n'a pas encore rencontrées, Octave ne veut donc pas lui en parler.
  • Viens, courons , le premier arrivé à la maison rouge à gagné!!!
    Alia ne court pas, elle vole et Octave la rattrape péniblement. La maison rouge c'est celle de Jeanne, Madame Pique sans fin et de son amoureux, Jean.
  • Jeanne et Jean, tu les as vus, reprend Octave essoufflé. Ils se sont rencontrés sur la place. Un vrai coup de foudre !! Jeanne et Jean, ça ne s'invente pas.
  • Je n'ai pas compris ce que fait Jean, interroge Alia , doucement.
  • Octave sourit : personne ne le sait, lui-même ne le sait peut-être pas. C'est simple : c'est un génie. Un inventeur bricoleur génial....
  • comme le « papier de soi »
  • oui, le « papier de soi » et aussi la machine à arrêter le temps que nous fabriquons en ce moment.
Poursuivons,
  • là tu connais, à côté c'est le fournil de Monsieur Aristide. Ensuite, nous avons Cassandre, la raconteuse d'histoires, que tu verras demain
Octave s'est arrêtée et de l'index désigne les maisons une à une, Alia écoute, et les grillons se sont mis à chanter.
    • à côté, le nid géant c'est chez Angèle, qui aide les bébés à venir au monde. Et puis, la maison de Balthazar, le facteur, et enfin Hector, qui aide les gens à prendre des décisions. Nous avons fait le tour, Alia, pour ce soir. La rue Broquet recèle d'autres habitants et plein de mystères mais pour cette nuit, c'est assez, ne crois tu pas ?
    • Si Octave, je suis ravie et sereine, nous pouvons rentrer . Mais, une question reste sans réponses, tu me dis que toutes les maisons sont là, dans cet immense rectangle, pourquoi la tienne est à l'extérieur ?
    • Octave la regarde gravement : je ne le sais pas. Il est dit que celui qui habite cette maison sera promis à un étrange destin. Mais je ne sais lequel.
Alia prend le bras d'Octave, le serre un peu plus fort et silencieusement, ils rentrent dans chez lui. Le jour s'est levé.
Il est temps de faire une pause.

mercredi 28 décembre 2011

Poor lonesome ortho, par Zec


Il l'a vue arriver. Il est là depuis longtemps. Il a le temps. Presque l'éternité. Elle non. Son temps est compté.
Il est à ras du sol. Immobile. Son point de vue reste imprenable.
Il a d'abord entendu ses pas. Cadencés. Elle marche comme un petit soldat.
Tic tac , tic tac fait le temps qui s'écoule.
Et elle, elle n'en tient pas compte . Elle clame qu'elle aura le temps. Lui sait que non. Elle se leurre, pauvre humaine qui pense tout maîtriser. Lui sait que non, elle s'en apercevra bien vite.
Après le son, l'image, il a vu une paire de bottes dans son champ visuel. Des bottes cavalières, avec des talons pas trop hauts. Il l'aurait deviné. Il sait qu'elle court tout le temps, elle ne met pas de chaussures inconfortables en sa compagnie. Il a déjà été dans son sac, dans son dos, à bout de bras aussi. Elle a besoin que tout aille vite, elle ne porte jamais de choses qui la dérangent. Pas de bagues pointues, pas de breloques qui tintinnabulent . Le seul accessoire qu'elle porte en sa compagnie , ce sont ses lunettes de vue, et encore, au bout d'un moment, il la force à les retirer, tant il lui abîme les yeux. Les moments passés avec lui sont éprouvants . Elle s'y est habituée au fil du temps mais c'est rarement un plaisir . Souvent, à la fin de leurs soirées, elle le regarde avec contentement et satisfaction, mais c'est elle qu'elle félicite, pas lui. Alors, il s'est installé dans sa vie, et vient la surprendre au moment où elle s'y attend le moins. Un jour, elle le regardera autrement. Il l'espère.
Il la guette, infatigable veilleur.

Il l'a vue venir et prendre place à sa table de travail. Toujours le même rituel. Elle allume son PC, branche sa clef USB, pose sa tasse de thé brûlant à gauche de la bécane, ajuste l'écran, ses lunettes.
Elle se penche, attrape des feuilles de brouillon, là , sa main l'effleure mais elle ne le touche pas . Pas encore. Elle se rassoit. Elle fouille dans sa trousse, en ôte les feutres de couleur et les pose devant elle. Et elle le regarde. Bizarrement. Puis détourne le regard. Elle se détourne de lui.
Elle pense encore qu'elle a plus important que lui dans sa vie ? Vraiment ? Et bien, il va se charger de lui faire comprendre le contraire.
Tiens, elle a l'air de comprendre toute seule puisqu'elle le porte sur sa table. Serait-elle devenue enfin raisonnable ? Ah ben , pas tout à fait, puisqu'elle le repose dans son sac.

Il fait nuit maintenant . Elle est seule à son bureau, ses collègues sont parti-e-s. Elle a mis de la musique en fond. Si elle croit que cela va l'arrêter, elle se trompe. 30 mn qu'il attend , seul , à ses pieds. Cela ne peut plus durer . Chaque semaine, elle lui fait croire que cela va être son tour. Chaque semaine, elle le change de place : dans le sac, à la maison, dans un tiroir, sur une table d'écolier, dans un train, au fond du coffre d'une voiture, et même oui même dans un jardin, sur le bord d'une piscine ou d'une cheminée. Et s'il était seul, non !!! ils sont cinq, dix , vingt même parfois , à attendre, trépigner que MADAME L ORTHOPHONISTE fasse enfin son travail de rédaction .

Mais c'est Noël, enfin c'est passé mais c'est tout comme . Et, là, comme un miracle, il l'entend dire à son interlocuteur téléphonique :
  • « Bon, faut que j'te laisse, c'est pas tout, mais j'ai des compte-rendus à finir, je m'y mets sérieusement là.
Et là, comme dans un rêve, elle le sort de la pile, le pose devant elle et dit :
- à nous deux maintenant, qu'on en finisse.

dimanche 25 décembre 2011

"Monsieur Aristide ne fait pas que dans la meringue "par Zèc

Aristide serre Octave dans ses bras , essuie avec douceur les traces de meringue restées sur la joue d'Alia et leur souhaite une belle nuit. Il est 3H00 du matin , un 23 décembre et Aristide doit aller travailler. Il regarde une dernière fois cette belle assemblée . Il leur sourit avec bienveillance. Ils ont tous des étoiles dans les yeux ce soir . Octave, sans un mot, raccompagne son ami à la grille. Aristide a l'air ailleurs, loin. Cela lui arrive parfois . Octave est un garçon discret. Il ne questionne pas, il écoute. Il voit bien qu'Aristide est préoccupé mais il ne demande rien.
Il tourne la clef dans la serrure, ouvre la porte dans un grincement .
Les deux amis se regardent . Aristide hésite :
  •  - Ta serrure, l'ami, on la crochète en deux secondes, faudrait voir à la changer surtout si la dame reste .
  •  -  Tu t'y connais bien en serrures pour un pâtissier, Aristide.... répond l'autre amusé
Aristide soupire, regarde ses bouts de chaussures ;
    • - Salut l'ami, à bientôt.
La porte de referme derrière lui.
Il marche, d'un pas traînant, le cœur lourd tant il aimerait parfois se confier au jeune Octave. Il regagne son fournil.
Les habitants de la rue Broquet ont toujours connu le fournil. Mais peu savent les secrets qu'il abrite. Les témoins du passé ont déménagé, sont morts, et dans le quartier, nul de trahira Monsieur Aristide.
Pas par peur, non, mais par respect.
Aristide soulève la grille qui protège l'entrée de son univers. Il n'a pas de boutique.
Au rez de chaussée, on entre dans une salle circulaire dans laquelle sont installées des chaises toutes différentes. On l'appelle la « salle des pains perdus »
C'est là qu'on attend les livraisons. C'est comme une religion d'aller chez Monsieur Aristide , les meilleures fougasses de toute la ville, ça se mérite !! La pièce est éclairée par des puits de lumières creusée dans le toit . Aux murs, des niches qui abritent des tasses, du thé, des journaux, des livres . Chacun se sert. On vient là pour se désaltérer, se réchauffer, se nourrir le corps, l'esprit et le cœur.
Passée cette pièce un escalier mène aux appartements d'Aristide en haut et au fournil en bas. Tout en pierre. Le domaine privé est constitué de 4 pièces à l'étage (une chambre, un bureau, une cuisine, une pièce à vivre), au dernier étage un grenier où Aristide a surélevé ses souvenirs. Il les garde tout en haut, pour qu'ils ne retombent pas dans l'oubli.
Quand Aristide se lève , au milieu de la nuit, il hésite toujours entre monter soulever le passé et descendre nourrir le présent.
Dans son fournil, il a installé des haut s - parleurs de bonne qualité qui diffusent de l'opéra italien à longueur de temps. Les habitué-e-s connaissent l'humeur du chef de ces lieux en fonction de ce qui passe dans leurs oreilles : La Callas, le patron est mélancolique ,Pavarotti le patron est gai....
Il y eu de mémorables prises de bec dans l'antre d'Aristide concernant les meilleurs prestations. Dans ces cas-là, les dates fusent :
  •  - 58 dit l'un ,
  •   - n'importe quoi,  62 , rétorque l'autre,
  •  - et vas donc, si t'as pas nettoyé les esgourdes ce matin, décambutes vite et va t'occuper de ça on en reparlera plus tard  !!
Aristide est de mauvaise foi. C'est un fait notable. Il est généreux mais de mauvaise foi. Il est soupe au lait aussi . Un jour, un apprenti , plus espiègle que les autres, a osé subtiliser un des disques et le remplacer par une de ces horribles musiques entre la musique classique et le cours d'éveil à la musique pour des petits. Tout le quartier se souvient de la colère d'Aristide : le ciel est devenu noir, le visage du pâtissier congestionné, et le regard du jeune homme …. vide. Il était pas content Aristide, mais pas content du tout , du tout, du tout. Le jeune homme s'est vu refuser l'accès au fournil pendant 7 jours . 7 jours pendant lesquels il a dû aller à l'école de musique perfectionner son oreille. Il en menait pas large le gamin. Mais après cette semaine à entraîner son oreille, il demanda à Aristide de l'aider à connaître et reconnaître, puis apprit à lire les partitions. Des nuits et des nuits sans fermer l’œil. Et ce qui devait arriver arriva. Un matin, il se présente à l'atelier engourdi de sommeil , et il s’endort pour de bon la fournée de croissants fini cramée, brûlée, noircie. Tout honteux il se présenta devant Aristide qui savait mais ne disait rien , attendant que son apprenti vienne le trouver. Ce jour là , Aristide offrit ce qu'il avait à offrir : un avenir. Il permit au jeune homme d'étudier à loisir la musique s'il le faisait sérieusement. Il payerait ses études, il lui permettrait de revenir à la pâtisserie si...
Rien en échange, Aristide sait qu'on ne négocie pas avec le destin. Le jeune homme s'en est allé , il est devenu un concertiste de talents. Il envoie une carte à son patron de chaque ville où il joue et revient régulièrement rue Broquet.

Il est 3H00 du matin, Aristide entre dans son univers et monte au grenier. Il vit sur un mensonge et la nuit étoilée qu'il vient de passer le pousse à se libérer. A se libérer et libérer de leur serments les ami-e-s du quartier. Il ne fera pas de cuissons cette nuit. Il va ouvrir les portes du passé et se construire un avenir. Il monte au grenier. Il y fait chaud. Il allume la lampe à pétrole que son père lui a donné. Il ouvre les malles, sort les photos du temps passé. Il parcourt les journaux , les avis aux peuple noircis par le temps. Il transporte les lourdes machines dans la salle des pains perdus, punaise les affiches, les photos en noir et blanc, les cartes, les tickets, la vieille radio et tous les morceaux de honte et de bravoure.

Le lendemain matin, y du monde dans la rue Broquet, des clameurs aussi. On dit que le fournil n'est que silence. Tou-te-s s'inquiètent et se massent devant la porte fermée. On jacasse, on extrapole. La rumeur est parvenu jusque chez Octave. Alors , avec Alia et les autres , ils se joignent au cortège des habitué-e-s. Peur, étonnement, ça se mélange. Monsieur Aristide, grave et silencieux, ouvre la porte et les invite à entrer.
Nul ne reconnaît la salle. Chacun-e s'assoit quasi religieusement. La salle est à craquer. Le dernier entré ferme la porte et Aristide prend la parole.
Et il raconte, l'arrivée rue Broquet avec sa famille, la guerre et la résistance.
  • On m'appelait Dédé la boulange...avec mon copain Pierrot les dents blanches, on a fait les 400 coups ici et là. De petits escrocs, des larcins , pour survivre . J'ai jamais été pâtissier , mais après j'ai appris. Avec Pierrot, on avait trouvé un moyen de faire tourner la planche à billets. C'était avant la peste brune. On s'était installé là, dans le fournil. On y planquait le matos. D'où mon surnom. Pierrot , lui, parcourait la ville la nuit, les cafés et les salles de jeux. Et puis, est arrivé l'horreur . Fallait se planquer, devenir prudents. On avait les machines, alors, on a proposé aux gars et aux filles des sections de fabriquer des faux papiers et des cartes de rationnement. Faux billets, faux papiers, c'était pareil. Et on l'a fait, longtemps, on s'marrait bien. On connaissait pas les noms des gars, on voulait pas. On savait pas si on s'rait assez forts, alors on voulait rien savoir. Juste on faisait tourner les machines et on livrait. On faisait du pain aussi, des croissants pour les minots de la rue : Esther , Sarah et tous les autres. Leurs mères passaient le matin, on glissait les cartes dans le pain noir. Leurs hommes passaient la nuit, on leur donnait les papiers. On planquait les armes dans la farine. Et un jour, ils ne sont plus venus. Ni les hommes , ni les femmes . On a attendu de revoir Esther et Sarah, mais elles ne sont jamais réapparues . Pierrot est parti, moi j'ai fait illusion. Ils m'ont arrêté et relâché. Je suis mort dans leurs cellules. Après je suis revenu, j'ai pris le nom d'Aristide, en mémoire du policier qui m'a aidé à m'évader.
    Je n'en peux plus de garder cela pour moi. Après la nuit blanche que nous avons passé, je devais vous dire tout cela.

Aristide, regarde ses pieds, il est désemparé. Il voit une marée d'yeux écarquillés. Lequel de ses amis va le délivrer, l'absoudre ?
Octave se lève , lentement, et va le serrer dans ses bras sans un mot, le regarde et lui sourit. Et tou-te-s font de même. Et chacun étreint son voisin. La vie reprend ses droits. Les sourires sont larges, la vérité a éclaté, et l'amitié n'a pas bougé. Une immense vague de bonheur envahit la salle des pains perdus.
Mr Aristide écrase une larme, rentre dans son fournil et un peu plus tard, on entend un air d 'opéra italien.











jeudi 22 décembre 2011

I luv U all - une nouvelle de Zec


Octave est assis sur la chaise en bois de la cuisine. Il est attablé devant sa tasse de café. Vide. La cafetière italienne lui donnera bientôt le breuvage salvateur.
Octave a allumé une cigarette qu’il fume paresseusement.
Il tire sur le clope à intervalles réguliers, le coude posé sur la table.
Octave fume de la main droite, ce qui n’a aucune espèce d’importance pour la suite des événements.
Il est assis et fixe le calendrier depuis un long moment. La case du jour est entourée d’un gros cercle rouge.
 Derrière lui, la pendule égrène les secondes.
Ça fait tic tac. C’est rassurant.
Le chat ronronne, sa masse posée sur la table. Lui aussi trouve le temps long, mais il se taira. Il se contente de regarder Octave.
Ce dernier écrase sa cigarette dans le cendrier.
Son regard se pose tour à tour sur le chat, le calendrier, le chat … c’est agaçant.
Alors le chat saute de la table et s’en va.
Octave se lève, les pieds de la chaise raclent bruyamment le plancher. Il verse le café dans sa tasse, regarde par la fenêtre, boit une gorgée, regarde de nouveau :
Le jour s’est levé
Sa quête peut commencer.

Il enfile sa veste de tweed celle qui a des coudes aux manches, ajuste sa casquette, noue son écharpe et se rend à la poste. Rien n’est ouvert, mais avec un peu de chance, son ami Donatien sera là en train de fumer à l’arrière du bâtiment avec Ivan. Octave fait le tour, enjambe la grille et trouve Ivan, seul :
-       «  Tiens mais c’est l’grand !! que viens-tu faire ici ? en manque de tri l’ami ? »
-       «  Bonjour Ivan, je cherche Donatien ? je pensais le trouver ici avec toi. ; »
-       « Non, l’ami, Donatien a disparu depuis un moment… je lui dis de passer chez toi quand je le vois »
-       « Merci mais ce sera trop tard, j’avais besoin de ses conseils… »
-       «Je peux t’aider ? »
Octave, retira ses bésicles et avec son mouchoir de batiste essuya la buée qui s’était formée. Il gardait la tête baissée, pesant le pour et le contre … en parler ou pas. Après tout autant se lancer/
-       « Ivan, crois –tu aux anges ? »
-       « Euh, les trucs blancs avec des ailes et tout et tout ? »
-       …….
-       « qui volent ? »
-       « Oui »
-       « Non »

Laissons Octave et Ivan se regarder interdits pour donner au lecteur des pistes de compréhension. Octave a rencontré un ange la semaine dernière. Et cet ange lui a fait une demande. Et Octave a accepté. Je vous entends vous gausser, mais j'aimerais vous y voir vous. C'est facile de faire les malins, on verra quand vous vous retrouverez face à un ange !
Octave se souvient de la demande de l'ange et c'est un gars loyal Octave, alors il aimerait bien réussir. L'ange s'appelle Alia, sans ailes et tout et tout. Mais c'est un Ange. Octave en est sûr.

Il se souvient de son rire, des boucles rousses de ses cheveux, de l’odeur de chèvrefeuille laissée dans son sillage et  du  bruit de ses pas quand elle est partie en lui chantant sa demande !
Elle n’était que cascades, rires, insouciance et légèreté et il voulait qu’elle revienne. Il a jusqu'à minuit pour tout réaliser. Il sait que c'est totalement loufoque et incertain mais il veut  le faire. Octave fait partie de ces gens qui font constamment des paris sur le quotidien, comme ne pas marcher sur les joints entre les pavés dans la rue...compter le nombre de gens portant chapeaux , parier sur le premier qui va s'envoler... donc Alia ne s'est pas trompée en le choisissant.
Retournons voir nos amis. Il est temps, nous sommes le 22 décembre, il fait froid dehors, et un héros malade ne me convient pas du tout.

Octave quitte un Ivan interloqué et triste. Voir son ami dans un tel état ne l'enchante guère. Il ne lui est d'aucun secours et le camarade Donatien ne le serait pas non plus.
Octave marche donc dans la rue avec cette certitude qu'il doit accomplir cette tache seule, un truc genre destinée.
Il est décidé, il va donc aller voir tou-te-s ses ami-e-s :

Il est maintenant 8H00 du matin, du monde dans les rues, ça ne va pas être facile.

D'abord, la peinture. Octave va chez Aristide et le leste de  seaux, de pinceaux. Il a  emprunté la charrette d'Ivan, et il charge, il charge. Ensuite il se rend chez Jeanne la couturière du coin de la rue Broquet. Il lui demande un igloo : Jeanne tape des mains, sautille de joie, fait des bonds....Elle est tout petite Jeanne, elle semble comme engloutie par les rubans et les tissus qui l'entourent. Elle plonge dans les paniers, sort une bobine, la remet, sourit à Octave, replonge, rit encore, trouve cette journée tout simplement merveilleuse.
Octave extirpe sa montre gousset de sa poche, il est déjà 11H00.
Jean, l'amoureux de Jeanne, (et oui!), lui a préparé du café. Tous les deux gardent le silence tandis que Madame Pique-sans-fin se démène joyeusement. De temps en temps, un client passe la porte de l'atelier et s'entend répondre :
-        « c'est fermé, aujourd'hui je travaille pour l'amour »
Une heure plus tard, Octave serre fort son amie dans ses bras. Ce que Jeanne  lui a offert dépasse et de loin ses rêves les plus fous.
Jean enveloppe le précieux présent dans du papier-de-soi. Jean est papetier. Il a inventé une machine à fabriquer le papier-de-soi. C’est assez simple comme principe : vous lui décrivez la personne à qui vous voulez faire un cadeau, et de sa machine sortent des bandes de papier qui collent à la personne. Ce matin, l’atelier embaume le chèvrefeuille.

Il est temps d’aller se restaurer.
Octave pousse sa charrette à bras jusqu’au fournil d’Aristide.
Il est sur le pas de la porte, ça sent le sucre, la farine et la cannelle.
Octave mord dans la brioche  que son ami lui tend.
Et expose sa demande.
Les yeux d’Aristide roulent comme des billes, ses bacchantes frémissent. Son ventre, qu’il a de proéminent se soulève aussi régulièrement que sa poitrine et ce qui devait arriver arriva. Aristide éclate d’un rire si tonitruant que ses élèves s’arrêtent de travailler…
Il est rare d’entendre Monsieur Aristide rire, mais quand cela arrive, c’est toute la vie qui reprend ses droits.
-       « Ravi de t’avoir fait rire », l’interrompt notre Octave, vexé
-       «  Mais, non, tu ne me fais pas rire, tu éclaires ma journée », dit Aristide avec bienveillance, «  viens, c’est par là que ça se passe, j’ai exactement ce qu’il te faut »
Et Aristide emmène Octave dans sa pièce, et là sur des tables, des dizaines de meringues attendent d’être croquées.
Le pâtissier appelle ses élèves, tous emballent les sucreries et les déposent dans la charrette d’Octave.
Aristide le regarde avec malice et Octave rentre chez lui.

Il ouvre la grille, traverse le jardinet, et dépose sa charrette devant l’escalier à double révolution. Il va maintenant hisser tous ses trésors. Cela lui prend du temps, il fait froid, un pâle rayon de soleil peine à le réchauffer. Octave ne voit pas le temps passer.
Il transforme sa maison.

La nuit tombe, sa maison éclaire la nuit.
Tout est blanc, lumineux, argenté.
Octave a repeint tout l’extérieur d’un blanc laiteux, il a recouvert toutes les fenêtres et tous les murs des voiles confectionnés par Jeanne pour offrir un igloo à la belle Alia.
Les meringues attendent, blanches elles aussi.

Cependant, Octave sait qu’il manque quelque chose d’essentiel pour qu’Alia revienne.
Il se remémore la scène et  les paroles résonnent :
-       « Blanc, je veux blanc, tout blanc »  avait elle dit avant de disparaitre dans un grand éclat de rire.
Et là pour Octave tout s’éclaire à nouveau.
Alia savait qu’il ne pourrait y arriver seul, alors elle lui a donné un défi pour qu’il appelle ses ami-e-s.
Octave court de maison en maison, prévenir ses ami-e-s. Tou-te-s doivent venir afin que l’ange réapparaisse.
Et tous viennent, tous se déplacent.
Et plus ils arrivent, plus la nuit tombe et leur présence éclaire le jardin ; On sort les voiles, on dresse les tables, on apporte les victuailles On commence à chanter, les rires fusent, et plus ils rient, plus la nuit s’éclaire.
Octave est heureux, il s’assoit en bout de table, et regarde tou-te-s ses ami-e-s.
A minuit, c’est l’hiver, enfin, et personne n’a froid.
On sonne à la grille.
Le silence se fait.
Octave se lève, va ouvrir.
Elle est là.

mardi 20 décembre 2011

On n'achève pas les orthos par Zèc




Le réveil sonne, elle l'éteint . Elle ouvre un œil. Se soulève sur un coude, regarde par la fenêtre. C'est tout blanc. Il a neigé. Sa tête retombe sur l'oreiller . Elle sourit, elle se lève, sautille pieds nus sur le parquet , elle frissonne passe sous la douche. Elle revêt une robe de laine, une paire de collants colorés, qu'elle recouvre de hautes chaussettes noires. Fait chauffer l'eau pour le thé , allume son téléphone.

Il a enfilé un jean brut, un pull lover de laine à col en V. Son duffle-coat est bleu marine . Il sort de la chambre . Il s'approche doucement dans la cuisine. Son homme aime les matins calmes. Lui aussi. Le café est prêt dans sa tasse, non sucré, sans soucoupe, comme il l'aime . Ils se regardent, se sourient . Eux seuls savent pourquoi. Ils s'embrassent, quittent l'appartement et allument leurs téléphones.

Son mari l'a appelée très tard . De la « piazza navona » «  tu sais, là où on avait mangé une glace cet été ». Elle aime qu'il l'appelle quand il est loin, elle aime sa voix dans la nuit. Elle a décroché le téléphone, s'est enroulée dans sa couverture, noyée dans les coussins du canapé.Le chat est venu se pelotonner à ses pieds, à sa place. Elle s'est endormie dans les coussins, en pensant à lui. Le jour qui perce à travers les persiennes l'a réveillé. Elle s'étire paresseusement, le chat miaule en sautant du canapé . Elle attrape son téléphone. Déchargé . Elle jure en italien. Court chercher son chargeur. Elle branche l'usb et attend que le voyant clignote vert. Pendant que cela charge, elle prépare ses vêtements, dress code noir ce matin. Doit bien avoir un cashmere qui traîne sous la pile.

Il est dans la salle de bains, il se rase, sa fille aînée toque à la porte, avec insistance. Il sourit. Il continue à se raser . Il a respecté le planning, c'est lui qui l'accroché à la porte. Et comme c'est lui qui l'a rédigé il sait qu'il n'a pas pu se tromper . Ce créneau c'est le sien . Son adolescente peut bien attendre. Et puis, elle passe quand même beaucoup de temps en ce moment dans la salle de bains . Sur son étagère il a vu des fards à paupières et du rouge à lèvres, là où il y a encore quelques mois ne traînaient que des pinces à cheveux. Il se dit qu'il faudrait en parler avec à sa femme, mais il rentre tard en ce moment, comme tous ses collègues . Il entend Lili qui tambourine de nouveau. Il se rend, il veut pas se fâcher, pas ce matin. Il enfile un pantalon noir, un pull noir aussi. Descend l'escalier, embrasse sa femme, monte dans sa voiture , met l'oreillette et allume le téléphone.

Elle a pris le train, pour aller plus vite . Mais elle n'est pas seule .Ils sont nombreux dans le TER, ce jour là. Ils se connaissent tous. Ils ont déjà froid mais ce n'est pas grave . Ils ont leurs tracts et leur carnet de chants. On entend les rires résonner dans tous les wagons . Le contrôleur a souri avec le billet de groupe . On entend les cloches tintinnabuler. Elle est debout, elle les regarde, elle est là, elle est contente . Elle n'est pas inquiète . Elle l'est rarement . Et puis là elle est fière .

Il est prêt , il les attend, son appareil photo en bandoulière . Il veut faire de belles photos, il veut que ça ait de la gueule, comme d'habitude !! Il les voit arriver de loin . D'abord il les a entendus.
Il sourit, il mitraille. Ils chantent.

Elle est déjà dans le métro, elle a rendez vous porte de clignancourt. Son gilet haute visibilité est roulé en boule dans son sac à dos . Trop la honte. Elle a mis des doc hautes, les 20 trous, celles qui font qu'on court plus vite . Et puis c'est des vrais, à l'ancienne, pas les nouvelles avec la fermeture éclair. Non les 20 trous, ça se mérite, ça se lace de bas en haut. Elle a changé les lacets ce matin . Elle a mis les rouges. C'est Paul qui les lui a donnés ,le vendeur de disques du bas de la rue. Elle pense à Paul, il est mignon Paul .Elle a promis de lui envoyer un SMS après. Et peut-être elle l'invitera à boire un verre après. C'est sûr, elle préférerait que ce soit lui. Et si il dit non ? Elle aura l'air stupide …. Mais ce matin, elle est heureuse dans le métro. Elle regarde les stations défiler et son cœur bat de plus en plus vite. Elle voit de plus en plus de bouts de tissus jaunes qui dépassent des sacs......

Elle est en retard, comme souvent mais là c'est pas possible. Elle a déposé les enfants à l'école et elle a rejoint ses collègues dans la maison de l'un d'eux . Elle fait de grands gestes avec la main gauche. La droite tient son téléphone collé à son oreille. Elle parle en marchant. Son débit est identifiable entre tous. Elle saccade les mots, elles les chante en fait. Même quand elle parle anglais. Ce qui la rend compréhensible de tous. Sauf en anglais. Ses collègues se marrent car elle plisse les yeux devant son écran de netbook et qu'elle dit : « non, c'est pas pos – si – ble ça, il a pas dit ça quand même » . Elle s'arrête, elle les regarde tous et elle leur dit «  vous imaginez même pas combien on sera » . «Ça va être génial !! ». Et elle sourit !

Il est maintenant 14H00
Nous sommes le 14 janvier 2012
les portables de tou-te-s les militant-e-s orthophonistes ont sonné. C'est eur signal . Ils ont dit qu'ils s'appelleraient quand ça commencerait, pour être ensemble.
Ils sont dans les rues, avec leurs patient-e-s
Ils n'ont rien lâché
Ils ne lâcheront rien.

mercredi 30 novembre 2011

Moeglus #2 suite et fin


« Hopkins » !!!!! Une voix surgit de nulle part et permis à Antoine de sortir de sa torpeur. Le froid engourdissait les membres mais on s’y habituait. Il ne fallait surtout pas relâcher sa vigilance. Ne pas s’endormir pendant sa garde, maintenir l’échelle debout, regarder le fil se dévider, veiller, toujours veiller…
Antoine comme les autres subissait maintenant les assauts de la zone froide. L’absence de lumière commençait à le rendre fou. Le fait que ce soit  Alexia qui soit  en haut de l’échelle n'arrangeait rien. Son cerveau revenait sans cesse à cette journée d’arrestation commune, ce jour noir sans comprendre comment ils avaient pu être pris dans ce piège grossier. Et pendant les rares moments de sommeil, les séances d’interrogatoire repassaient douloureusement dans sa tête.
Entendre son nom prononcé dans cet  univers avait quelque chose de surréaliste !!!
Qui l’appelait ? Qui pouvait le reconnaître ? Qui avait assez de cran ou de pouvoir pour briser la loi de l’anonymat ?
Antoine tourna la tête et manqua de s’évanouir.