Octave est assis sur la chaise en bois de la cuisine. Il est
attablé devant sa tasse de café. Vide. La cafetière italienne lui donnera
bientôt le breuvage salvateur.
Octave a allumé une cigarette qu’il fume paresseusement.
Il tire sur le clope à intervalles réguliers, le coude posé sur la
table.
Octave fume de la main droite, ce qui n’a aucune espèce
d’importance pour la suite des événements.
Il est assis et fixe le calendrier depuis un long moment. La case
du jour est entourée d’un gros cercle rouge.
Derrière lui, la pendule égrène
les secondes.
Ça fait tic tac. C’est rassurant.
Le chat ronronne, sa masse posée sur la table. Lui aussi trouve le
temps long, mais il se taira. Il se contente de regarder Octave.
Ce dernier écrase sa cigarette dans le cendrier.
Son regard se pose tour à tour sur le chat, le calendrier, le
chat … c’est agaçant.
Alors le chat saute de la table et s’en va.
Octave se lève, les pieds de la chaise raclent bruyamment le
plancher. Il verse le café dans sa tasse, regarde par la fenêtre, boit une
gorgée, regarde de nouveau :
Le jour s’est levé
Sa quête peut commencer.
Il enfile sa veste de tweed celle qui a des coudes aux manches,
ajuste sa casquette, noue son écharpe et se rend à la poste. Rien n’est ouvert,
mais avec un peu de chance, son ami Donatien sera là en train de fumer à
l’arrière du bâtiment avec Ivan. Octave fait le tour, enjambe la grille et
trouve Ivan, seul :
-
« Tiens mais c’est
l’grand !! que viens-tu faire ici ? en manque de tri
l’ami ? »
-
« Bonjour Ivan, je cherche Donatien ?
je pensais le trouver ici avec toi. ; »
-
« Non, l’ami, Donatien a
disparu depuis un moment… je lui dis de passer chez toi quand je le vois »
-
« Merci mais ce sera trop
tard, j’avais besoin de ses conseils… »
-
«Je peux t’aider ? »
Octave, retira ses bésicles et avec son mouchoir de batiste essuya
la buée qui s’était formée. Il gardait la tête baissée, pesant le pour et le
contre … en parler ou pas. Après tout autant se lancer/
-
« Ivan, crois –tu aux
anges ? »
-
« Euh, les trucs blancs avec
des ailes et tout et tout ? »
-
…….
-
« qui volent ? »
-
« Oui »
-
« Non »
Laissons Octave et Ivan se regarder interdits pour donner au
lecteur des pistes de compréhension. Octave a rencontré un ange la semaine dernière.
Et cet ange lui a fait une demande. Et Octave a accepté. Je vous entends vous
gausser, mais j'aimerais vous y voir vous. C'est facile de faire les malins, on
verra quand vous vous retrouverez face à un ange !
Octave se souvient de la demande de l'ange et c'est un gars loyal
Octave, alors il aimerait bien réussir. L'ange s'appelle Alia, sans ailes et
tout et tout. Mais c'est un Ange. Octave en est sûr.
Il se souvient de son rire, des boucles rousses de ses cheveux, de
l’odeur de chèvrefeuille laissée dans son sillage et du bruit de ses pas quand elle est partie en lui
chantant sa demande !
Elle n’était que cascades, rires, insouciance et légèreté et il
voulait qu’elle revienne. Il a jusqu'à minuit pour tout réaliser. Il sait que
c'est totalement loufoque et incertain mais il veut le faire. Octave fait partie de ces gens qui
font constamment des paris sur le quotidien, comme ne pas marcher sur les
joints entre les pavés dans la rue...compter le nombre de gens portant chapeaux
, parier sur le premier qui va s'envoler... donc Alia ne s'est pas trompée en
le choisissant.
Retournons voir nos amis. Il est temps, nous sommes le 22
décembre, il fait froid dehors, et un héros malade ne me convient pas du tout.
Octave quitte un Ivan interloqué et triste. Voir son ami dans un
tel état ne l'enchante guère. Il ne lui est d'aucun secours et le camarade
Donatien ne le serait pas non plus.
Octave marche donc dans la rue avec cette certitude qu'il doit
accomplir cette tache seule, un truc genre destinée.
Il est décidé, il va donc aller voir tou-te-s ses ami-e-s :
Il est maintenant 8H00 du matin, du monde dans les rues, ça ne va
pas être facile.
D'abord, la peinture. Octave va chez Aristide et le leste de seaux, de pinceaux. Il a emprunté la charrette d'Ivan, et il charge,
il charge. Ensuite il se rend chez Jeanne la couturière du coin de la rue
Broquet. Il lui demande un igloo : Jeanne tape des mains, sautille de
joie, fait des bonds....Elle est tout petite Jeanne, elle semble comme
engloutie par les rubans et les tissus qui l'entourent. Elle plonge dans les
paniers, sort une bobine, la remet, sourit à Octave, replonge, rit encore,
trouve cette journée tout simplement merveilleuse.
Octave extirpe sa montre gousset de sa poche, il est déjà 11H00.
Jean, l'amoureux de Jeanne, (et oui!), lui a préparé du café. Tous
les deux gardent le silence tandis que Madame Pique-sans-fin se démène
joyeusement. De temps en temps, un client passe la porte de l'atelier et
s'entend répondre :
-
« c'est fermé, aujourd'hui
je travaille pour l'amour »
Une heure plus tard, Octave serre fort son amie dans ses bras. Ce
que Jeanne lui a offert dépasse et de
loin ses rêves les plus fous.
Jean enveloppe le précieux présent dans du papier-de-soi. Jean est
papetier. Il a inventé une machine à fabriquer le papier-de-soi. C’est assez
simple comme principe : vous lui décrivez la personne à qui vous voulez
faire un cadeau, et de sa machine sortent des bandes de papier qui collent à la
personne. Ce matin, l’atelier embaume le chèvrefeuille.
Il est temps d’aller se restaurer.
Octave pousse sa charrette à bras jusqu’au fournil d’Aristide.
Il est sur le pas de la porte, ça sent le sucre, la farine et la
cannelle.
Octave mord dans la brioche que son ami lui tend.
Et expose sa demande.
Les yeux d’Aristide roulent comme des billes, ses bacchantes
frémissent. Son ventre, qu’il a de proéminent se soulève aussi régulièrement
que sa poitrine et ce qui devait arriver arriva. Aristide éclate d’un rire si
tonitruant que ses élèves s’arrêtent de travailler…
Il est rare d’entendre Monsieur Aristide rire, mais quand cela
arrive, c’est toute la vie qui reprend ses droits.
-
« Ravi de t’avoir fait rire »,
l’interrompt notre Octave, vexé
-
« Mais, non, tu ne me fais
pas rire, tu éclaires ma journée », dit Aristide avec bienveillance, «
viens, c’est par là que ça se passe, j’ai exactement ce qu’il te faut »
Et Aristide emmène Octave dans sa pièce, et là sur des tables, des
dizaines de meringues attendent d’être croquées.
Le pâtissier appelle ses élèves, tous emballent les sucreries et
les déposent dans la charrette d’Octave.
Aristide le regarde avec malice et Octave rentre chez lui.
Il ouvre la grille, traverse le jardinet, et dépose sa charrette
devant l’escalier à double révolution. Il va maintenant hisser tous ses
trésors. Cela lui prend du temps, il fait froid, un pâle rayon de soleil peine
à le réchauffer. Octave ne voit pas le temps passer.
Il transforme sa maison.
La nuit tombe, sa maison éclaire la nuit.
Tout est blanc, lumineux, argenté.
Octave a repeint tout l’extérieur d’un blanc laiteux, il a
recouvert toutes les fenêtres et tous les murs des voiles confectionnés par
Jeanne pour offrir un igloo à la belle Alia.
Les meringues attendent, blanches elles aussi.
Cependant, Octave sait qu’il manque quelque chose d’essentiel pour
qu’Alia revienne.
Il se remémore la scène et les
paroles résonnent :
-
« Blanc, je veux blanc, tout
blanc » avait elle dit avant de
disparaitre dans un grand éclat de rire.
Et là pour Octave tout s’éclaire à nouveau.
Alia savait qu’il ne pourrait y arriver seul, alors elle lui a
donné un défi pour qu’il appelle ses ami-e-s.
Octave court de maison en maison, prévenir ses ami-e-s. Tou-te-s
doivent venir afin que l’ange réapparaisse.
Et tous viennent, tous se déplacent.
Et plus ils arrivent, plus la nuit tombe et leur présence éclaire
le jardin ; On sort les voiles, on dresse les tables, on apporte les
victuailles On commence à chanter, les rires fusent, et plus ils rient, plus la
nuit s’éclaire.
Octave est heureux, il s’assoit en bout de table, et regarde
tou-te-s ses ami-e-s.
A minuit, c’est l’hiver, enfin, et personne n’a froid.
On sonne à la grille.
Le silence se fait.
Octave se lève, va ouvrir.
Elle est là.
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