- Octave, racontes -moi la rue Broquet s'il te plaît.
Octave lève les yeux de son bricolage
et regarde Alia. La flamboyante est à demi couchée sur la
conversation. Elle a étendu des jambes par dessus la séparation en
forme de S et ses pieds reposent sur le chat. Depuis son apparition
dans la vie d'Octave, et son installation dans la maison, elle ne
quitte guère cette place. Le chat doit aimer le chèvrefeuille car
il se love souvent près d'elle.
- Octave, s'il te plaît, la rue Broquet.
- La rue Broquet ne se raconte pas, Alia, elle se vit, elle se hume, elle s'écoute.
- Alors emmènes -moi.
- ….Alia se déplie, se lève, lisse sa robe, enfile une paire de croquenots. Elle se déplace sans bruits, on dirait qu'elle lévite. Elle disparaît et réapparaît vêtue d'une cape, ses mains dissimulées dans un manchon, une toque retenant à peine ses boucles indisciplinées. Elle se plante devant Octave. Lui est resté assis, se concentrant sur la machine à arrêter le temps qu'il construit patiemment. Le chat, lui, a choisi son camp. Il saute sur la table, les plans s'envolent. Octave tente de les rattraper. En vain. Ils s'éparpillent et retombent au sol comme les feuilles en automne. Alia sourit. Et quand elle sourit, le monde d'Octave s'illumine. Il est toujours assis. Il la regarde par dessus ses bésicles. Elle patiente en se balançant d'un pied sur l'autre. Octave se lève, fait le tour de la table. Il ramasse les croquis, et va les ranger dans le tiroir de la cuisine.Il passe devant Alia, va enfiler sa redingote noire, une chapeau haut de forme brun, et enfile ses gants.
- Viens , lui souffle-t-il en lui proposant son bras.
Ils marchent du même pas, on dirait
qu'ils volent tant ils sont à l'unisson. Il fait nuit. Le monde est
endormi . Mais chaque pas d'Alia éclaire leur route ,( oui c'est un
ange, et quand les anges marchent, volent, enfin , se déplacent, ils
éclairent la route... ou pas. Disons que l'auteure de cette prose
trouvait ça plutôt facile et que comme tout est complètement
fictionnel, et ben, on a le droit) ; Reprenons
Il fait froid, très froid. Ils parlent
peu. Enfin ils arrivent au début de la rue Broquet, qui n'est pas
exactement une rue. C'est un immense rectangle composé de maisons de
pierres. On sait que l'histoire, ses guerres ont depuis longtemps
bouleversé la géographie en créant des frontières là où elles
n'existaient pas, en déplaçant des populations qui n'avaient rien
demandé, juste par la ratification d'armistices dont on se serait
bien passé. La rue Broquet est comme un immense camp de résistance .
Se sont installés là des tziganes, des corses, des italiens, des
irlandais, des argentins.... chacun a construit sa maison avec l'aide
des autres, au fur et à mesure des arrivées, des conflits, des
morts et des naissances. On y trouve de grandes maisons, des
bicoques, des longères, des huttes. Des maisons colorées, peintes
et repeintes au fil du temps . On y trouve même des colombages,
et certains soirs, les historiens polémiquent pour en décider
l'origine.
Alia et Octave se sont installés sur
un banc de pierre au centre du rectangle. C'est la place centrale
appelée « place des humains ».
Là où se nouent et se dénouent les
contrats. On y tient le marché certains matins, et certains soirs,
on y refait le monde. C'est l'assemblée du peuple, on y vote le
règlement intérieur une fois par an. Les autres fois, on y discute,
on argumente, ça parle fort, ça se conspue , s'invective, se
chicane , se querelle, en un mot : ça s'engueule !!
Elle est bordée de platanes, qui
ombragent délicieusement les bordures. On vient là retrouver des
ami-e-s , jouer aux cartes, aux dominos , lire, s'isoler, méditer et
refaire le monde.
En son centre, on a construit le four.
C'est là que chaque famille vient faire cuire son pain. Autour sont
plantés des oliviers, des citronniers, des cèdres.
Octave raconte tout ceci à Alia, elle
voit les enfants courir, elle entend les rires, les pleurs, les
cris...
Octave raconte à voix basse et tandis
qu'il raconte, Alia sent tour à tour, l'odeur du maquis, du froid
sibérien, du désert africain. Ça se mélange sans se heurter,
comme un brin d'humanité.
Ils se lèvent et font le tour.
Octave commente, d'un ton docte ou
amusé.
On commence par le café, il est tenu
par Eugène. La grille est à moitié baissée mais, en se penchant,
on peut apercevoir le style art déco de la Brasserie.
Ensuite, plusieurs maisons en enfilade,
des grandes familles qu'Alia n'a pas encore rencontrées, Octave ne
veut donc pas lui en parler.
- Viens, courons , le premier arrivé à la maison rouge à gagné!!!Alia ne court pas, elle vole et Octave la rattrape péniblement. La maison rouge c'est celle de Jeanne, Madame Pique sans fin et de son amoureux, Jean.
- Jeanne et Jean, tu les as vus, reprend Octave essoufflé. Ils se sont rencontrés sur la place. Un vrai coup de foudre !! Jeanne et Jean, ça ne s'invente pas.
- Je n'ai pas compris ce que fait Jean, interroge Alia , doucement.
- Octave sourit : personne ne le sait, lui-même ne le sait peut-être pas. C'est simple : c'est un génie. Un inventeur bricoleur génial....
- comme le « papier de soi »
- oui, le « papier de soi » et aussi la machine à arrêter le temps que nous fabriquons en ce moment.
Poursuivons,
- là tu connais, à côté c'est le fournil de Monsieur Aristide. Ensuite, nous avons Cassandre, la raconteuse d'histoires, que tu verras demain
Octave s'est arrêtée et de l'index
désigne les maisons une à une, Alia écoute, et les grillons se
sont mis à chanter.
- à côté, le nid géant c'est chez Angèle, qui aide les bébés à venir au monde. Et puis, la maison de Balthazar, le facteur, et enfin Hector, qui aide les gens à prendre des décisions. Nous avons fait le tour, Alia, pour ce soir. La rue Broquet recèle d'autres habitants et plein de mystères mais pour cette nuit, c'est assez, ne crois tu pas ?
- Si Octave, je suis ravie et sereine, nous pouvons rentrer . Mais, une question reste sans réponses, tu me dis que toutes les maisons sont là, dans cet immense rectangle, pourquoi la tienne est à l'extérieur ?
- Octave la regarde gravement : je ne le sais pas. Il est dit que celui qui habite cette maison sera promis à un étrange destin. Mais je ne sais lequel.
Alia prend le bras d'Octave, le serre
un peu plus fort et silencieusement, ils rentrent dans chez lui. Le
jour s'est levé.
Il est temps de faire une pause.